« Pourquoi lire aujourd’hui » : intervention

« Pourquoi lire aujourd’hui » : intervention de Michèle Petit, anthropologue, spécialiste de la lecture et des bibliothèques (France).

Entendu lors du colloque « Livres et bibliothèques pour demain » organisé par la  Bibliothèque Centrale de Bruxelles et l’Association professionnelle des Bibliothécaires et des Documentalistes (APBD) le 17 octobre 2011.

Durant les 30 dernières années, la lecture a principalement été étudiée sous l’angle de sa « rentabilité » scolaire.  La lecture est perçue comme un investissement pour la réussite scolaire et donc la clé du devenir professionnel et social des individus, permettant également une citoyenneté plus active.  Nous avons donc une approche utilitaire de la lecture.

Michèle Petit, si elle reconnait la légitimité de cette approche insiste cependant sur l’importance de la lecture et du texte lu pour aider les individus à se construire ou se reconstruire.  Elle a ainsi rencontré des personnes en grandes souffrances survenues suite à des déplacements de population, à des guerres, à des situations de précarité,…

La lecture porterait une vérité existentielle et vitale surtout dans les sociétés en crises de repères.  Lire permettrait de donner un sens à la vie.

Michèle Petit insiste également sur le rapport entre espace et lecture.  Beaucoup de lecteurs utilisent en effet des métaphores spatiales pour expliquer leur rapport à la lecture (métaphores d’autant plus prégnantes quand il s’agit de personnes déplacées), « Lire c’est mon pays, ma maison », « C’est mon espace intérieur ».  C’est un univers vaste mais intime à la fois.  Cette expansion de soi est d’autant plus importante pour les personnes qui n’ont rien.  La lecture n’est donc pas une fuite mais une formidable ouverture.  Lire et écrire permettent de s’accorder ou se réaccorder au monde, être le narrateur de sa propre histoire.  C’est aussi mettre de la distance avec sa propre histoire, repousser les limites et se mettre dans la peau d’un autre.  Lire permet de développer son intériorité.  Pour Michèle Petit, la littérature est plus près de la vie que de l’Académie et n’est pas un privilège de nantis.

La littérature, le texte soutient une conversation tout en protégeant la personne par la médiation du texte.  La littérature crée non seulement un ancrage mais une sécurité affective.  C’est une expérience esthétique transformatrice et cette expérience peut être vécue par tous, quelle que soit son origine sociale ou culturelle.  Le texte (mythes, légendes, poésie, textes littéraires,…) laisse en effet des traces extrêmement fortes, bien plus peut-être que d’autres formes d’expression artistique.

Cette intervention de Michèle Petit était passionnante, elle s’appuyait sur des situations concrètes.  Elle a ainsi suivi le travail, bien souvent très discret, de médiateurs du livre (bibliothécaires, instituteurs, militants,…) dans des pays en crise ou dans des quartiers difficiles. 

Discours romantique sur le pouvoir de la littérature ?  L’approche utilitaire de la lecture est bien sûr extrêmement importante, suffisamment d’études ont montré que les enfants qui lisaient peu ou pas du tout réussissaient moins bien à l’école.  Cet aspect ne doit-il pas s’accompagner d’une approche plus existentielle de la lecture Quel sens en effet donner à une existence quand on a tout perdu ou vécu des évènements dramatiques ou traumatisants ?  La littérature permet de multiplier les expériences, d’endosser différentes personnalités, de se sentir moins seul face aux épreuves de la vie.  Cet aspect est loin d’être mineur et ne s’apparente pas à une fuite, il s’agit bien au contraire d’un renforcement interne.

 Pour en savoir plus : PETIT, Michèle.  L’art de lire ou comment résister à l’adversité.  Belin, 2008.  265 p. Coll. Nouveaux Mondes